La patte rédac à modeler
des mots d’animaux de Play-Doh.
Avant que tu nous en dévoiles plus, peux-tu nous préciser quels étaient les enjeux que Play-Doh vous avait assignés ?
Rappelons d’abord que sur son marché hautement concurrentiel, le premier enjeu de la communication de Hasbro, est de pousser le produit en linéaire. Cela dit, la marque existe depuis soixante ans et de fait, elle appartient à ce cercle fermé de jeux et jouets avec lesquels on a tous, de génération en génération, entretenu un jour une relation particulière. Avec de la Play-Doh en mains, on est en quelque sorte un dieu qui façonne la matière. Les parents d’aujourd’hui ont connu ce sentiment et c’est le tour de leurs enfants de l’éprouver à présent. C’est ce lien-là, très précieux pour une marque, que nous voulions retisser avec la campagne « Dans le monde de Play-Doh ». Il s’agissait de rappeler à chacun cette part d’enfance et ce que la pâte à modeler peut avoir de merveilleux. Quand je dis « chacun », je veux dire les petits comme les grands. Car les parents ont un rôle évident de prescripteur.
Le client a très vite compris l’intérêt de développer sur Internet le concept de l’annonce des espèces d’animaux qui apparaissent dans le monde de Play-Doh. Il s’agissait ensuite de le transformer en contenu qui s’adresserait aussi bien à des adultes qu’à des enfants. Avec des clins d’œil perceptibles par les uns et des éléments davantage destinés aux seconds. Prenez n’importe quel dessin animé de Pixar ou album d’Asterix et vous trouverez des références qui passeront largement au-dessus de la tête d’un bambin, mais qui feront rire un lecteur plus âgé. C’est ce que nous avons essayé de faire, nous aussi.
La plateforme de marque de Play-Doh se concentre sur l’imaginaire et la créativité infinie. Pour des créatifs, c’est une grande pression mais aussi un beau boulevard.
Oui, en quelque sorte. Puisque toute la campagne colle parfaitement à la signature internationale : « Open a can of imagination ». Le maître-mot est « créativité ». Ce qui correspond à une vérité du produit, car si vous collez de la Playdoh entre les mains d’un enfant, je vous assure qu’il se mettra machinalement à la modeler. Les trois annonces parues plus tôt cette année avaient déjà pour vocation de rappeler le pouvoir de création presque infini de la pâte à modeler. Ce n’était pas un hasard si toutes les accroches commençaient par : « Dans le monde de Play-Doh », à la manière des contes qui démarrent systématiquement par la même formule : « Il était une fois ». On était dans le même registre, au fond : le merveilleux. Même si, juste après avoir façonné un à un la bagatelle de 16 000 brins d’herbe, la part de merveilleux nous sautait un tout petit peu moins aux yeux, pour être franc. Car, faut-il le rappeler : toute la campagne print, ainsi que tous les titres et animaux de la galerie, ont été réalisés en pâte à modeler. Ce sont Natacha Olive de Cherisey, Rémi Picard, Marion Dervaux et notre Manu national (NDLR : Emmanuel Courteau, son double DA) qui s’y sont collés.
Comment vous est venue l’idée de cette « galerie des animaux en voie d’apparition » ?
L’idée était claire dans nos têtes depuis longtemps : rassembler un maximum d’espèces farfelues dans une sorte de musée d’histoire naturelle. Au départ, nous avions songé à une expo « en vrai », mais vu les multiples contraintes, nous avons jugé préférable d’opter pour le virtuel. Visuellement, nous avions à l’esprit la Grande Galerie de l’Évolution, du musée d’histoire naturelle, à Paris. D’où l’apparence donnée au site – que nos amis de Merci Michel ont brillamment développé – avec cette grande verrière de type Eiffel, son allure sobre et son parquet qui grince. Et d’où le nom choisi au final, brassant à la fois le thème des « espèces en voie d’apparition » et ce mot, « galerie », qui leur offrait tout à coup un espace à part entière. Ensuite, il ne restait plus qu’à peupler cet espace…
Comment as-tu conçu les noms des personnages ? 38 au total quand même !
En fait, c’est bien plus de 38, si l’on ajoute les espèces développées uniquement pour Facebook, notamment pour les posts participatifs, et celles qui ne connaîtront finalement pas les feux de la rampe. Quand on se lance dans un projet pareil, il vaut mieux prévoir trop que pas assez !… Pour le print, la plupart des animaux avait été dessinée par Emmanuel Courteau. À l’époque, seule leur apparence comptait. Dès lors que le projet de galerie a pris corps, le concept derrière chaque espèce est devenu prépondérant. Car pour chacune, il fallait pouvoir raconter une histoire. De façon naturelle, c’est le rédac de l’équipe qui s’y est le plus collé. C’est-à-dire moi.
C’est donc l’histoire de chaque créature qui a décidé de sa survie ou non ?
Pour des raisons pratiques, j’ai tenté de récupérer un maximum d’animaux de l’annonce. Restait encore à trouver ce qu’on pourrait bien dire d’eux. Voilà pourquoi j’en ai finalement délaissé un tiers. Ils étaient à mon sens trop ordinaires, comme ces quatre poissons qui flottaient en l’air, OK, mais n’offraient rien de si surprenant (parce qu’après tout, des poissons volants, ça existe dans notre monde). Je n’ai donc conservé que ceux dont l’apparence autorisait naturellement une construction narrative. Du plus évident – comme le mouton au corps en forme de nuage, en suspension dans l’air – jusqu’au plus compliqué, que j’ai fini par nommer « Autruchinata », parce que c’était vraiment tout ce que ça m’évoquait (un animal défouloir, mélange d’autruche pour la silhouette et de pinata mexicaine pour les couleurs et la consistance). Et j’en ai conçu des dizaines d’autres, en intégrant au passage quelques suggestions, comme le « Chameaunix » de Rémi, qu’il a lui-même baptisé ainsi. Et en tenant compte des commentaires, bien sûr. À un moment, j’avais imaginé un « Bonobo Siffredi » qui mesurait 25 cm et se dressait de toute sa hauteur dès qu’il voyait une femelle… ». Les autres m’ont demandé : « Heu, tu es sûr, là ? » et en fait, non, je n’en étais pas du tout sûr, alors cet ersatz de Rocco Siffredi en version simiesque, on l’a laissé se dresser devant qui il voulait, mais pas sur un site à vocation familiale.
Pour tout dire, il a fallu faire preuve de pas mal d’autocensure, car parfois, cela nous faisait beaucoup rire mais ne collait pas du tout à l’image de Play-Doh. Mais alors, pas du tout. RIP, donc, « l’étoile de mer jaune », « la raie de plombier » ou même « la cougar ». Entre autres. De toute façon, j’avais déjà dépassé la centaine d’espèces et il fallait encore que Manu les dessine puis qu’elles soient à leur tour modelées, photographiées et détourées. À la fin, Rémi me chambrait régulièrement en disant : « On va être gentil avec J-F, aujourd’hui, sinon il va nous pondre dix espèces de plus ! »… Sans parler de l’animation des personnages, ensuite, ni du son qui, à lui seul, a représenté des dizaines d’heure de travail (au passage, un grand merci à nos camarades du Studio 5 : Cédric, Clément, Alex et Marine).
Tu as opté pour la variété dans la construction des noms avec des mots-valise, mais aussi des références populaires (le Bigbrozeur, le Hibouligan, le Pélifrenchcancan). Quelles ont été tes inspirations ? Boris Vian ? Antoon Krings ?
En créant des noms d’espèces, je n’avais pas spécialement en tête le « pianocktail » de Boris Vian ni de références particulières. Même si je sais pertinemment qu’en la matière, je n’ai rien inventé : les mots-valises existent depuis très longtemps. À l’époque de Rabelais, il me semble bien qu’on en trouvait déjà. Et que le mot lui-même est né sous la plume de Lewis Carrol, au XIXe siècle. On peut donc dire que la galerie des espèces en voie d’apparition s’inscrit – en toute humilité, bien sûr – dans une très longue tradition littéraire, où la poésie nait de l’amalgame des mots pour en créer de nouveaux. J’ajouterai que, parfois, le concept a précédé le mot. C’est le cas de l’Ourbeille, mélange d’un ours et d’une abeille : j’ai trouvé amusant qu’un ours, connu pour être avide de miel, ait la faculté d’en fabriquer, comme une abeille. Le nom coulait alors de source. Dans le cas du Piranhaccordéon, processus inverse : le nom m’est apparu et a dessiné l’animal.
Cela dit, même si le site compte beaucoup de mots-valises, du Boxerpillère à l’Autruchinata, tous les noms d’espèces n’ont pas été bâtis de cette manière, comme vous l’avez remarqué. Le Tigrounet, que vous citez, obéit à une autre logique : je voulais simplement lui conférer quelque chose d’enfantin, par contraste avec le prédateur qu’il est censé être. Le Trouillotard et le Mille-pattes mytho, eux, n’expriment rien d’autre qu’un trait de caractère saillant sur lequel est fondé tout le personnage, l’un ayant peur en permanence et l’autre prétendant posséder 1000 pattes alors qu’il n’en a que 500. D’autres noms ne véhiculent rien de précis tant qu’on n’a pas lu ou entendu le texte. La Chauve-souris diurne, par exemple, relève simplement d’une singularité : j’ai transformé une noctambule en bête de jour, avec des conséquences désastreuses pour la pauvre créature. Seul le nom du « Bigbrozeur », en définitive, relève du clin d’œil pur et simple, sans aucun autre artifice que ce « z » franchouillard pour remplacer le « th » anglais… Oui, je crois que de toutes les espèces imaginées, il est unique en son genre…
La réalisation technique et graphique a été un vrai challenge. Votre créativité a-t-elle rencontré d’autres obstacles ?
Il faut bien reconnaître que le service juridique s’est montré impitoyable ! C’est à ce stade du projet que sont morts divers noms et détails. Notamment le paonlindelon, un paon aussi vaniteux que l’acteur éponyme. Je l’ai regretté, celui-là ! Exit également le Cat Moss, chat britannique très longiligne qui se regardait beaucoup dans les miroirs et se nourrissait d’un rien. Je l’ai rebaptisé catwalker et finalement relégué aux seconds rôles, il n’apparaît plus que sous la forme d’une vague allusion, dans le texte du sliméphant. À vrai dire, nous nous sommes fait sabrer quasiment toutes les références à des marques et célébrités. Le Castorabois est l’un des rares rescapés. Mais bon, c’était inévitable. Les juristes sont payés pour se montrer plus prudents que la normale et nous éviter les 0,0001 % de risque de procès potentiel. Et l’on ne pouvait pas se passer de cette étape, car il était indispensable de vérifier si ces noms n’existaient pas déjà. Il nous a d’ailleurs fallu rebaptiser quelques animaux. Comme le Giraffosaurus devenu Airbivore, parce qu’il existait apparemment des histoires pour enfants utilisant ces noms. Nous avons aussi découvert, mais bien plus tard, qu’une série de Canal+ avait mis en scène, cette année, des espèces du même genre : Tony les animots. Et que nous en avions une en commun : le zombison. On sait qu’ils ne nous ont pas copiés, puisqu’ils ont diffusé l’épisode en février ; et de notre côté, nous n’aurions pas de mal à prouver que la galerie comme l’animal étaient déjà en germe bien avant la série. Bref, c’est toujours un peu désagréable, ce genre de collision, mais ce sont des choses qui arrivent.
Le ton des histoires, les texte comme le choix du comédien, emprunte aux documentaires animaliers mais avec des références décalées et humoristiques qui parlent à tous. Est-ce une façon de sensibiliser subtilement parents et enfants à l’écologie ?
Nous voulions dès le départ adopter ce ton-là : celui du National Geographic, des documentaires où la voix du narrateur a quelque chose de très intime, au plus près de l’espèce et de son quotidien. L’objectif assigné au studio son et au comédien, malgré quelques touches plus ironiques, c’était de réaliser quelque chose de sincère et plutôt pince-sans-rire. À la manière des Monty Python quand ils racontaient des choses énormes tout en conservant le plus grand sérieux. Attention, je ne prétends pas que nous sommes parvenus à faire aussi drôle qu’eux, mais en tout cas, nous avions en tête de fonder le comique sur ce type de décalage : du farfelu énoncé de façon sérieuse.
Pour ce qui est de l’arrière-plan écologique, et plus largement pédagogique, c’est vrai que le site comporte – dans son titre même, pour commencer – des allusions très claires à certains thèmes qui nous tenaient à cœur, comme la disparition incessante de tant d’espèces de notre monde. On égratigne aussi le mâle qui laisse à sa conjointe le soin de s’occuper seule des enfants, au travers du poupoule ; mais aussi l’abandon des chiens par des irresponsables, via le boxerpillère… Alors, bien que cette opération n’ait pas pour vocation première de sensibiliser le grand public à ces thèmes de société, disons que si cette galerie peut être l’occasion pour les parents d’aborder le sujet avec leurs enfants, tant mieux. Car il n’y a que l’éducation qui puisse venir à bout de nombreux maux de ce monde… Et le fait qu’une marque destinée aux enfants puisse brasser de tels sujets dans sa com me paraît sain. Il faut traiter les problèmes à la racine…
Une « mascotte » d’un des 38 personnages émerge-t-elle déjà ?
C’est assez partagé. Même si le crapaudisco a beaucoup plu, semble-t-il… Mais c’est éminemment subjectif… Certaines personnes éclatent de rire devant le proutweiler, d’autres préfèrent infiniment des animaux plus poétiques, comme le moutonnuage ou le cerf boisé… C’est aussi pour cela qu’il était intéressant de ne pas se montrer univoque, dans l’écriture. D’explorer divers registres. Ainsi, on peut toucher plus de monde.
Merci à Jean-François Bouchet et à la team créative de DDB Paris.
(Re)visitez la Galerie des espèces en voie d’apparition et découvrez les films réalisés par le studio Eddy :
> L’ourbeille
> Les cochons siamois
Crédits
> Directeur de création : Alexander Kalchev
> Concepteur-rédacteur : Jean-François Bouchet
> Directeurs artistiques : Emmanuel Courteau, Rémi Picard
> Design des personnages : Emmanuel Courteau
> Modelage : Natacha Olive de Cherisey, Marion Dervaux
> Photographie : Marc Da Cunha Lopes (print), Marion Dervaux (site)
> Retouches : Rémi Picard
> Community Manager : Lucas Lahore
> Animations Facebook : Cyril Quintin, Nicolas Denis
> Studio son : Studio 5 (Cédric Boit, Clément Reynaud, Alexandre Vicart, Marine Crémer)
> Musiques : Clément Reynaud, Alexandre Vicart, Cédric Boit
> Commerciaux : Marie-Laure Dangeon, Marie Tricoche, Camille Passot
> Responsables annonceur : Hélène Kurz, Sylvaine Gomez, Karine Martinez
> Production digitale : Merci Michel