Depuis 2014, Benjamin Sanial réécrit les briefs, les brains et les PPM. Cut. Flashback. Benjamin devant sa télé. Le film passe. Son cerveau trépasse. Cut. Benjamin devant son clavier. Ses idées filent. Ses doigts courent. Cut. Benjamin refait les pitchs. Attention. Uniquement ceux des films. Et uniquement des marques de luxe. Cut. Il est comme ça, Benjamin. Et comme plus on est de fous, plus on rit, il a décidé de les partager avec la République des Rédacs. Coupez ! Non, non ! Ne coupez surtout pas.

— Les gars, j’espère que tout le monde est bien revenu de Grèce et d’Italie, vos deux destinations phares de cet été, j’ai bien suivi toutes vos stories sur Instagram, je sais ce que vous avez mangé, bu, visité, embrassé, photographié, léché, conduit, survolé, coucher-de-soleillé, ce dans quoi et dans qui vous vous êtes baignés. Ce qui me fait enfin un point commun avec Mark Zuckerberg : je sais tout de vous.

Mes chers boomerangs, vous qui partez toujours plus loin, mais revenez toujours à votre point de départ, après avoir cru que vous pouviez voler de vos propres ailes, je tenais donc à vous faire part de la lettre que nous avons reçue de Julia Roberts alors même que pas un d’entre vous ne m’envoyait ne serait-ce qu’une toute petite et insignifiante carte postale.

Je lis, donc :

« De Julia Roberts,

À Monsieur le Directeur de création de l’agence qui s’occupe de la communication du parfum « La Vie Est Belle » duquel je suis l’égérie.

Monsieur le Directeur,

J’ai beaucoup apprécié le travail que nous avons réalisé ensemble sur les deux premiers opus de la saga. »

— Bien entendu, elle vous ajoute au passage à ses remerciements.

« Ce qui est moins vrai avec votre équipe de bras cassés. »

— Ah, non, au temps pour moi, elle ne vous ajoute pas à ses remerciements.

« Monsieur le Directeur, j’ai tellement aimé me défaire de mes liens dans le premier film, tellement adoré faire tomber des murs dans le second, que je me permets de vous soumettre une petite idée si jamais nous devions être amenés à collaborer à nouveau ensemble dans un troisième film. Ce que je souhaite plus encore que faire un nouveau film Calzedonia, vous savez ces collants au nom de pizza.

Voilà donc mon idée, bien sûr ce n’est qu’un début, un petit concept, je n’ai pas la prétention d’avoir la connaissance de vos collaborateurs. Mais prenez tout de même le temps de lire ce qui suit. Sait-on jamais. Who knows comme on dit par chez nous.

Mais fi de circonlocutions je me lance (c’est une image, hein pas le début du film, je ne me lance dans rien du tout, mais vous m’aviez suivie (et j’espère que vous ne m’avez pas suivie en vous lançant à votre tour en vous disant que je m’étais lancée, (d’autant que je n’ai pas dit où je me lançais (même si bien sûr je ne me lançais pas)))). Je précise à toutes fins utiles, ces parenthèses fermées ne sont pas des smileys atrophiés, mais bien la fermeture de toutes mes parenthèses ouvertes précédemment, nous ne sommes pas encore assez intimes, ni plus assez jeunes pour nous permettre l’utilisation de parenthèses et de points virgules pour pallier le manque du langage à signifier nos sentiments.

Donc.

Attention.

Début.

Julia Roberts, moi-même, avance au milieu d’une soirée sur l’esplanade du Trocadéro à Paris, devant une fontaine moderne (en gros une sorte de douche à l’italienne, mais au milieu de la place parisienne).

Julia Roberts, moi-même, arbore un sourire teinté de mystère et de Teint Miracle de Lancôme et aussi de Juicy Tube rose clair du même Lancôme (hasard ? Non, professionnalisme).

Julia dans sa robe erre, du coup moi-même j’erre mais je gère. Un couple se dispute, un groupe de musique joue mou, la blonde du couple fait la moue, elle n’aime pas quand ils se disent pute, la chanteuse, comme la vérité dans les X-Files, est ailleurs. La fontaine dégouline et glougloute de son insipide transparence de fontaine. Un bel homme mûr écrit un message sur son téléphone, peut-être même qu’il commande un Uber tellement lui et sa femme, une belle femme mûre (un peu comme lui mais moins, l’état d’avancement du fruit femme n’étant pas tout à fait le même que celui du fruit homme) s’ennuient. Une jeune top model asiatique s’échappe de cette triste soirée en écoutant de la musique sur son casque sans marque afin que personne n’ait de procès si jamais le constructeur venait à reconnaître le fruit du labeur de son laboratoire de Recherche & Design.

Telles deux gourdes s’approchant trop près d’une fontaine afin de s’y abreuver, Julia et moi-même nous faisons éclabousser. Et telles ces deux gourdes nous rions et débordons d’une joie trop pleine. Le rire étant le propre de l’homme, il ne nous salit pas mais nous lave de cet ennui profond qui règne sur l’esplanade. Julia et moi-même décidons donc d’un commun accord et d’un cerveau commun de nous lancer corps et âme dans la fontaine qui est sur cette place la seule à jouir ouvertement.

Nous nous libérons du carcan de nos talons hauts et fendons la mer en deux, obéissant aux dix commandements d’une soirée réussie.

  • Une belle robe
  • Des chaussures qui brillent
  • Un bon make-up
  • Un bon rouge à lèvres
  • Du déodorant
  • Du parfum
  • Même entre les seins
  • Même dans la culotte (mais pas juste après le rasoir, ça pique)
  • Un bon Spritz
  • Belle Du Seigneur dans la pochette de soirée (si la soirée est vraiment trop chiante au moins on a de quoi lire, et même si on ne le lit pas, au pire ça peut servir d’arme d’auto-défense, un bon Belle du Seigneur dans les parties et c’est la débandade, Dick Rivers comme on dit par chez nous)

 

Autour, tout semble soudain prendre vie, l’eau régénératrice fait son œuvre, le vieux beau annule son Uber, sa femme trouve ça suber, la chanteuse se met elle-même à croire qu’elle chante sur la bande-son du film, chantée par un homme dans une reprise de Rihanna, une femme. La top model se met à sourire, elle se débarrasse de son casque sans marque (un Lidl ?), le couple se désengueule, il n’en est pas encore à se réconcilier, mais ils offrent aux autres convives des dehors plus conciliants. (traduction : la meuf arrête de faire du boudin).

Tout le monde sourit et danse. Tout le monde s’éclabousse sans se mouiller. Julia est comme une couche Pampers, sèche à l’extérieur mais gonflée de joie à l’intérieur. Et moi j’ai les petits élastiques, là, qui me font sourire sur les côtés.

Puis Julia et moi-même mirons la Tour Eiffel, tour à tour, sa lumière nous fait nous poser la question : who will make you happy today ? L’inconvénient d’être une actrice étant qu’on ne peut rien penser tranquillement qui ne soit retranscrit à haute voix par la nôtre, haute, off et intelligible. On peut lire en nous comme dans un livre audio ouvert. Finie l’intimité. Honte suprême, mon monologue interne, mon questionnement existentiel est en plus sous-titré pour que chacun puisse comprendre même sans être bilingue, ce que je pense par devers mon moi, et mon surmoi. Qui rendrez-vous heureux aujourd’hui ? (fucking froggies comme on dit par chez nous).

Julia s’illumine, je m’illumine, la ville s’illumine, La vie est belle.

On met des mots, que vous trouverez bien mieux que moi. On met le flacon, comme vous savez si bien le faire.

On tourne à Paris.

Avec Monsieur Aveillan qui filme si bien les panthères (que je sais être quand il le faut).

Sentez-vous libre de réaliser ce film tel quel, sentez-vous libre de ne rien changer, sentez-vous libre de me recontacter très vite.

Veuillez croire Monsieur le Directeur en l’expression de mes directives les plus sincères.

Votre dévouée Julia qui pense à vous en pliant la robe blanche qu’elle va porter durant le film, je vous laisse le choix de ne pas en choisir une autre.

Signature, trace de rouge à lèvres, XXX et kiss kiss kiss, etc. »

— Voilà, vous savez tout. Vous pouvez retourner à vos retouches et filtres de photos de vacances.

Marc, tu me prépares un contrat de CDD au nom de Roberts, Julia, Hollywood Boulevard 90210 Los Angeles Californie, avec Tesla de fonction, un compte Skype pro, elle va faire un peu de télétravail, tu lui précises bien que c’est cinq semaines de congés payés, mais que cette année elle n’en aura pas, toute Julia qu’elle soit. Dis-lui qu’on lui prépare un pot de bienvenue avec de la bière et du champagne.

Lulu, tu iras nous chercher six kilos de chips.

Zaza, tu nous prépares un communiqué de presse, genre, elle a bossé sur des super budgets avant d’arriver ici, Mystic Pizza à l’international. Les sites de rencontres Coup de Foudre à Notting Hill, et Closer, entre adultes consentants. Et la chaîne de Casino Ocean’s Eleven.

T’ajoutes que c’est une habituée des prix, genre Cannes et compagnie. Et roule ma poule.

On la colle sur un budget bouffe dès qu’elle est là.

Une dernière chose, attention, pas de blagues de cul avant qu’elle n’ait compris le fonctionnement d’une agence française, OK ? Ne transformons pas son arrivée en bad buzz avec un procès #metoo alors qu’elle n’est qu’en période d’essai. Va falloir museler vos Richard Gere les gars.

La Vie Est Belle | Lancôme